@CamilleStineau

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Je vais essayer d'expliquer point par point ce qui ne va pas dans le traitement médiatique des événements d'Amsterdam, et pourquoi c'est un cas d'école des problèmes dans le journalisme. Hier matin, je me suis levé, j'ai ouvert Twitter et j'ai vu des vidéos de bagarre. 1/23

Plus précisément : des vidéos de gens chantant des slogans racistes, puis d'autres montrant (apparemment) ces mêmes personnes se faire casser la gueule. J'ai vite fait cherché sur Twitter ce qu'il s'était passé, et j'ai compris le lien avec le match Tel Aviv - Amsterdam. 2/23

Plus tard dans la matinée, sont arrivés les articles de presse sur le sujet, basés sur des dépêches AFP. Vous savez, c'est ce fameux "avec AFP" dans les articles. J'ai immédiatement vu la différence entre ce qui était écrit dans la presse, et ce que j'ai vu sur Twitter. 3/23

Tôt dans la matinée, je me suis dit que les journalistes n'avaient pas eu le temps de faire des recherches, et qu'ils publiaient donc rapidement l'info en reprenant juste l'AFP. Je me suis dit que dans la journée, on aurait des articles plus précis sur le contexte. 4/23

Sauf que là, déjà, on a un gros problème. Dès le soir du match, il y avait sur Twitter de nombreuses vidéos attestant des chants racistes et de la violence des supporters israéliens. Visiblement, ni l'AFP ni les grands médias ne les ont prises en compte. 5/23

Et ça, ça illustre un problème du journalisme : la confiance en les sources "officielles", et le peu de crédit accordé aux sources "non officielles". C'est donc le récit des autorités israéliennes et hollandaises qui s'est imposé, auprès de l'AFP, puis des médias. 6/23

Pourtant, c'est pas ça le métier de journaliste. Notre rôle n'est pas d'être un mégaphone qui amplifie auprès de la population le narratif des autorités. Au contraire, notre rôle est de vérifier les infos, de questionner la version des autorités, et de donner du contexte. 7/23

Un peu naïvement, j'ai pensé qu'on allait avoir droit à une enquête, un décryptage, du genre "que s'est-il vraiment passé à Amsterdam ?", et qu'au fil de la journée, un narratif plus nuancé et contextualisé allait s'imposer. Ça n'a pas été le cas, au contraire. 8/23

J'ai vu une énorme différence entre Twitter, où les vidéos des chants racistes, des arrachages de drapeaux palestiniens, de la perturbation de la minute de silence, etc étaient partagées par de nombreux comptes, et les grands médias où ces infos étaient au second plan. 9/23

Pourtant, c'est étrange quand-même. La grande majorité des journalistes s'informent sur Twitter. Au sein de toutes les rédactions, les gens étaient sûrement au courant du comportement des supporters israéliens. Mais ça a été minimisé, voire occulté. 10/23

Pourquoi ? Je n'en sais rien. Peut-être que les rédactions en chef ont imposé un cadrage conforme au narratif israélien. Peut-être (sûrement) qu'il y a une confiance naturelle envers les autorités officielles, et une méfiance naturelle envers les réseaux sociaux. 11/23

Tout ça pose en tout cas problème. Et puis, au fil de la journée et des prises de parole politiques, un cadrage s'est imposé : celui du pogrom antisémite. Les grands médias se sont faits le relais, sans recul, de cette théorie. Ils ont choisi leur camp, en quelque sorte. 12/23

Ces supporters israéliens n'ont pas été attaqués après avoir scandé des slogans racistes, agressé des gens etc. Ils ont été attaqués uniquement parce qu'ils sont Juifs. Et quiconque conteste ce narratif est antisémite. Une fois de plus, l'antisémitisme est instrumentalisé. 13/23

On réduit des gens à leur identité juive, et on occulte tout le reste, tout ce qui peut venir contester ce narratif. C'est malhonnête, c'est dangereux, c'est de la manipulation de l'information. Mais comme les autorités ont imposé ce narratif, les médias l'ont repris. 14/23

Dans ce narratif imposé, toute compréhension du mouvement ultra est également proscrite. Les bagarres lors de déplacements de supporters sont fréquentes, d'autant plus lorsque ces supporters sont marqués à l'extrême-droite. Mais ce narratif concurrence celui imposé. 15/23

Vient donc l'injonction morale, stade suprême de la manipulation : ceux qui osent donner du contexte, des clés d'explication, sont accusés de justifier, soutenir, légitimer. Alors que c'est normalement le rôle des journalistes. 16/23

Faire des recherches poussées sur l'historique des ultras de Tel Aviv, authentifier des vidéos de chants racistes, expliquer le contexte, tout ça prend du temps, et demande un vrai travail de vulgarisation auprès du public. Alors à la place on impose un narratif simpliste. 17/23

On publie rapidement des articles pour faire du clic. Forcément : "violences antisémites à Amsterdam" fait plus cliquer que "qui sont les ultras du Maccabi Tel Aviv au coeur des violences à Amsterdam ?" C'est la conséquence d'un modèle économique, mais aussi idéologique. 18/23

Faire du clic, être le premier sur l'info, quitte à oublier le contexte. Et une fois qu'on a plus de contexte, simplifier les faits pour se conformer au narratif majoritaire. 19/23

Et puis, cette affaire illustre aussi le deux poids, deux mesures entre la vie des Israéliens et celle des Arabes. Ces supporters Israéliens ont tabassé un chauffeur de taxi, scandé des chants racistes, etc. Mais ce n'est pas ce qui fait la une ? Pourquoi ? 20/23

Certaines violences semblent plus acceptables que d'autres. Des violences contre des Israéliens sont de suite un scandale internationale, mais des violences anti-arabes sont un simple fait divers. Pourquoi, si ce n'est par racisme ? 21/23

Évidemment qu'il y a énormément de défiance envers les médias. Mais à ce niveau-là, ce n'est même plus de la défiance, c'est de la lucidité. Les gens n'ont pas confiance en la presse, et la journée d'hier prouve une fois de plus qu'ils ont raison. 22/23

À cause des éditorialistes de plateaux, à cause d'un modèle économique basé sur la recherche du buzz plutôt que sur la volonté de produire une information de qualité, nous, journalistes, on paye les pots cassés sur le terrain. Car les gens ne nous font plus confiance. 23/23

Le thread commence à avoir pas mal de visibilité, donc je vais ajouter une dernière chose : tout ça n'est pas une fatalité. Et nous, journalistes, on est nombreux à se battre contre ça. Si vous voulez nous aider, un seul moyen : soutenir les médias indépendants !

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Les médias indépendants fonctionnent soit sur abonnement, soit sur dons. Dans les deux cas, leur financement dépend uniquement de leurs lecteurs. Pas de pub, pas d'actionnaires milliardaires. C'est ça la condition de l'indépendance.

La liste que j'ai donnée n'est pas exhaustive et j'ai sûrement oublié beaucoup d'excellents médias. Vous trouverez une liste plus complète ici : https://t.co/6bYly2G6Ko

Bon, et tant que j'y suis, je suis moi-même journaliste, donc autant en profiter pour mettre en avant mon travail. Vous pouvez trouver mes productions ici 👇 https://t.co/DhbkyU4qcP

Bon en me réveillant j'ai vu mes notifications exploser, et en réponse j'ai quelques messages antisémites, qui m'expliquent que les juifs contrôlent les médias, ou autres théories complotistes. Votre antisémitisme n'est pas le bienvenu ici, ni nulle part ailleurs.

Je vais essayer d'expliquer point par point ce qui ne va pas dans le traitement médiatique des événements d'Amsterdam, et pourquoi c'est un cas d'école des problèmes dans le journalisme. Hier matin, je me suis levé, j'ai ouvert Twitter et j'ai vu des vidéos de bagarre. 1/23Plus précisément : des vidéos de gens chantant des slogans racistes, puis d'autres montrant (apparemment) ces mêmes personnes se faire casser la gueule. J'ai vite fait cherché sur Twitter ce qu'il s'était passé, et j'ai compris le lien avec le match Tel Aviv - Amsterdam. 2/23Plus tard dans la matinée, sont arrivés les articles de presse sur le sujet, basés sur des dépêches AFP. Vous savez, c'est ce fameux "avec AFP" dans les articles. J'ai immédiatement vu la différence entre ce qui était écrit dans la presse, et ce que j'ai vu sur Twitter. 3/23 Tôt dans la matinée, je me suis dit que les journalistes n'avaient pas eu le temps de faire des recherches, et qu'ils publiaient donc rapidement l'info en reprenant juste l'AFP. Je me suis dit que dans la journée, on aurait des articles plus précis sur le contexte. 4/23Sauf que là, déjà, on a un gros problème. Dès le soir du match, il y avait sur Twitter de nombreuses vidéos attestant des chants racistes et de la violence des supporters israéliens. Visiblement, ni l'AFP ni les grands médias ne les ont prises en compte. 5/23Et ça, ça illustre un problème du journalisme : la confiance en les sources "officielles", et le peu de crédit accordé aux sources "non officielles". C'est donc le récit des autorités israéliennes et hollandaises qui s'est imposé, auprès de l'AFP, puis des médias. 6/23Pourtant, c'est pas ça le métier de journaliste. Notre rôle n'est pas d'être un mégaphone qui amplifie auprès de la population le narratif des autorités. Au contraire, notre rôle est de vérifier les infos, de questionner la version des autorités, et de donner du contexte. 7/23Un peu naïvement, j'ai pensé qu'on allait avoir droit à une enquête, un décryptage, du genre "que s'est-il vraiment passé à Amsterdam ?", et qu'au fil de la journée, un narratif plus nuancé et contextualisé allait s'imposer. Ça n'a pas été le cas, au contraire. 8/23J'ai vu une énorme différence entre Twitter, où les vidéos des chants racistes, des arrachages de drapeaux palestiniens, de la perturbation de la minute de silence, etc étaient partagées par de nombreux comptes, et les grands médias où ces infos étaient au second plan. 9/23Pourtant, c'est étrange quand-même. La grande majorité des journalistes s'informent sur Twitter. Au sein de toutes les rédactions, les gens étaient sûrement au courant du comportement des supporters israéliens. Mais ça a été minimisé, voire occulté. 10/23Pourquoi ? Je n'en sais rien. Peut-être que les rédactions en chef ont imposé un cadrage conforme au narratif israélien. Peut-être (sûrement) qu'il y a une confiance naturelle envers les autorités officielles, et une méfiance naturelle envers les réseaux sociaux. 11/23Tout ça pose en tout cas problème. Et puis, au fil de la journée et des prises de parole politiques, un cadrage s'est imposé : celui du pogrom antisémite. Les grands médias se sont faits le relais, sans recul, de cette théorie. Ils ont choisi leur camp, en quelque sorte. 12/23Ces supporters israéliens n'ont pas été attaqués après avoir scandé des slogans racistes, agressé des gens etc. Ils ont été attaqués uniquement parce qu'ils sont Juifs. Et quiconque conteste ce narratif est antisémite. Une fois de plus, l'antisémitisme est instrumentalisé. 13/23On réduit des gens à leur identité juive, et on occulte tout le reste, tout ce qui peut venir contester ce narratif. C'est malhonnête, c'est dangereux, c'est de la manipulation de l'information. Mais comme les autorités ont imposé ce narratif, les médias l'ont repris. 14/23 Dans ce narratif imposé, toute compréhension du mouvement ultra est également proscrite. Les bagarres lors de déplacements de supporters sont fréquentes, d'autant plus lorsque ces supporters sont marqués à l'extrême-droite. Mais ce narratif concurrence celui imposé. 15/23Vient donc l'injonction morale, stade suprême de la manipulation : ceux qui osent donner du contexte, des clés d'explication, sont accusés de justifier, soutenir, légitimer. Alors que c'est normalement le rôle des journalistes. 16/23Faire des recherches poussées sur l'historique des ultras de Tel Aviv, authentifier des vidéos de chants racistes, expliquer le contexte, tout ça prend du temps, et demande un vrai travail de vulgarisation auprès du public. Alors à la place on impose un narratif simpliste. 17/23On publie rapidement des articles pour faire du clic. Forcément : "violences antisémites à Amsterdam" fait plus cliquer que "qui sont les ultras du Maccabi Tel Aviv au coeur des violences à Amsterdam ?" C'est la conséquence d'un modèle économique, mais aussi idéologique. 18/23 Faire du clic, être le premier sur l'info, quitte à oublier le contexte. Et une fois qu'on a plus de contexte, simplifier les faits pour se conformer au narratif majoritaire. 19/23Et puis, cette affaire illustre aussi le deux poids, deux mesures entre la vie des Israéliens et celle des Arabes. Ces supporters Israéliens ont tabassé un chauffeur de taxi, scandé des chants racistes, etc. Mais ce n'est pas ce qui fait la une ? Pourquoi ? 20/23 Certaines violences semblent plus acceptables que d'autres. Des violences contre des Israéliens sont de suite un scandale internationale, mais des violences anti-arabes sont un simple fait divers. Pourquoi, si ce n'est par racisme ? 21/23Évidemment qu'il y a énormément de défiance envers les médias. Mais à ce niveau-là, ce n'est même plus de la défiance, c'est de la lucidité. Les gens n'ont pas confiance en la presse, et la journée d'hier prouve une fois de plus qu'ils ont raison. 22/23 À cause des éditorialistes de plateaux, à cause d'un modèle économique basé sur la recherche du buzz plutôt que sur la volonté de produire une information de qualité, nous, journalistes, on paye les pots cassés sur le terrain. Car les gens ne nous font plus confiance. 23/23Le thread commence à avoir pas mal de visibilité, donc je vais ajouter une dernière chose : tout ça n'est pas une fatalité. Et nous, journalistes, on est nombreux à se battre contre ça. 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